Lutte anticorruption : cde la loi Sapin 2 à la loi Sapin III
La loi Sapin II a largement été saluée comme une avancée majeure dans la lutte contre la corruption et la fraude, alignant la France sur les meilleurs standards européens et internationaux en la matière.
Sa réussite ne saurait toutefois éclipser certains points de vigilance, notamment épinglés par le rapport d’évaluation de la loi publié le 7 juillet 2021 par la Commission des lois. Dans cet article de synthèse, Provigis explore les nouveautés attendues dans la troisième mouture de la loi Sapin.
Qu’est-ce la loi Sapin II ?
Promulguée en 2016, la loi Sapin II vise à renforcer la transparence et l’intégrité économique en France. Elle tire son nom de l’ancien ministre des Finances, Michel Sapin, qui a proposé cette loi en réponse à une série de scandales financiers et de corruption qui ont secoué la France ces deux dernières décennies :
- L’affaire dite « Cahuzac » : en 2013, le ministre français du Budget Jérôme Cahuzac est contraint de démissionner après avoir été mis en cause dans une affaire de fraude fiscale. Cette affaire a suscité un vif émoi en France et a mis en lumière l’insuffisance des mesures de prévention de la corruption et de la fraude fiscale ;
- Les révélations des « Panama Papers » : en 2016, des journalistes du monde entier ont révélé l’existence d’un vaste système d’évasion fiscale impliquant de nombreuses personnalités politiques et économiques à travers le monde. Cette affaire a mis en évidence la nécessité de renforcer la lutte contre la fraude fiscale et la corruption ;
- L’affaire « Air Cocaïne » : en 2015, une affaire de trafic de drogue impliquant plusieurs personnalités du monde économique et politique français a été mise au jour. Cette affaire a mis en lumière les liens troubles entre certains acteurs économiques et politiques, ainsi que les failles dans les contrôles de l’État.
La deuxième mouture de la loi Sapin fait suite à la loi Sapin I, adoptée en 1993, qui visait principalement à renforcer la transparence et à « muscler » la lutte anticorruption dans la vie économique et les procédures publiques. Elle faisait là encore suite à des scandales financiers comme l’affaire « Urba », l’affaire du Crédit Lyonnais ou encore l’affaire Pechiney.
Complexe et extensive, la loi Sapin II couvre un large éventail de domaines. En plus de la lutte contre la corruption, elle encadre la protection des lanceurs d’alerte, la prévention des conflits d’intérêts, la transparence des pratiques commerciales et la réglementation des lobbyistes.
Les mesures phares de la loi Sapin II
Dans le détail, la loi a introduit plusieurs mesures fortes pour atteindre ses objectifs et aligner la France sur les normes internationales en matière de lutte contre la corruption :
- Création de l’Agence Française Anticorruption (AFA), chargée de prévenir et de détecter les actes de corruption, de vérifier la mise en place de programmes de prévention de la corruption dans les entreprises, et de sanctionner les manquements ;
- Renforcement de la protection des lanceurs d’alerte en leur garantissant une meilleure protection juridique, en créant un statut pour les lanceurs d’alerte et en instaurant des mesures de prévention des représailles ;
- Instauration d’une obligation de mise en place de programmes de prévention de la corruption pour les entreprises de plus de 500 salariés, ainsi que pour les entreprises exerçant des activités réglementées ou bénéficiant de marchés publics ;
- Élargissement du champ d’application des règles de transparence pour les représentants d’intérêts (lobbyistes) exerçant une représentation auprès des pouvoir publics, qui sont désormais tenus de s’inscrire sur un registre et de déclarer l’ensemble de leurs activités ;
- Création d’un dispositif de transaction pénale pour les entreprises ayant commis des faits de corruption, permettant d’éviter un procès pénal en contrepartie d’une amende et de mesures correctives.
Par construction, la loi Sapin II concerne les acteurs suivants :
- Les entreprises de plus de 500 salariés réalisant un chiffre d’affaires de plus de 100 millions d’euros ;
- Les sociétés appartenant à un groupe dont la maison-mère siège en France ;
- Les entreprises publiques et les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) ;
- Les associations et fondations qui exercent des activités économiques ;
- Les organisations syndicales et professionnelles ;
- Les représentants d’intérêts (lobbyistes) qui exercent une activité de représentation auprès des pouvoirs publics ;
- Les élus, les hauts fonctionnaires et les magistrats.
Loi Sapin II : quelques lacunes qui appellent une 3e mouture
La loi Sapin II a été saluée comme une avancée majeure dans la lutte contre la corruption et la fraude en France, mais elle a également été critiquée pour plusieurs raisons :
- La complexité des procédures : la loi Sapin II instaure des procédures complexes pour les entreprises souhaitant se conformer aux obligations de prévention de la corruption et de la fraude. Certains acteurs économiques ont critiqué la lourdeur de ces procédures, qui peuvent représenter un coût important pour les entreprises ;
- Le manque de moyens de l’AFA : certains acteurs estiment que cette agence manque de moyens pour mener efficacement ses missions ;
- Les difficultés à sanctionner les entreprises étrangères, limitant l’efficacité de la loi dans un contexte de mondialisation des échanges économiques ;
- La faiblesse des peines encourues : malgré des avancées significatives dans la lutte contre la corruption et la fraude, certaines voix se sont élevées pour critiquer la faiblesse des peines encourues en cas d’infraction à la loi Sapin II. Les peines maximales prévues restent relativement « faibles » par rapport à celles prévues dans d’autres pays européens ;
- Selon Transparency France, « le registre des représentants d’intérêts est une réforme encore inaboutie, voire décevante » ;
- Malgré les mesures prises pour les protéger, les lanceurs d’alerte se heurtent encore à plusieurs obstacles, et leur parcours est parfois coûteux et périlleux.
Quelles sont les évolutions proposées pour Sapin III ?
Pour ces raisons (et d’autres), une proposition de loi a été déposée le 19 octobre 2021 pour amender la loi Sapin II, faisant notamment suite au rapport d’évaluation de la loi publié le 7 juillet 2021 par la Commission des lois. Synthèse des nouveautés prévues :
- Le renforcement des obligations des services publics des collectivités territoriales en matière de Compliance ;
- Le renforcement du rôle de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) pour inclure le contrôle des acteurs publics en matière de lutte anticorruption ;
- L’extension du champ d’application géographique de la loi, avec notamment la suppression du critère de localisation en France du siège social de la société mère. En clair, les obligations prévues par l’article 17 devraient être étendues aux filiales françaises d’entreprises étrangères ;
- La réduction de l’écart « culturel » de l’intérêt de la lutte anti-corruption entre les secteurs publics et privés.
A noter : les évolutions proposées ne remettent pas en cause les 8 grandes mesures de conformité de la loi Sapin II.
De manière plus concrète, l’adoption de la loi Sapin III dans l’état actuel de la proposition de loi impacterait les organisations sur deux grands aspects :
- Le périmètre des entreprises assujetties : les filiales de grands groupes établies en France seraient soumises au dispositif dès lors que leur société mère dépasserait le seuil de 500 salariés et de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires ;
- Les dispositifs internes de mise en conformité des organisations : engagement de la direction, optimisation des processus internes, cartographie des risques, dispositifs préventifs (code de conduite et de formation des personnels), détection (dispositif d’alerte interne, contrôle comptable) et remédiation (régime disciplinaire et actions correctives).
Comment anticiper l’éventuelle adoption de la loi Sapin III ?
Afin de vous préparer au mieux à ce renforcement (très) probable du cadre réglementaire de la lutte anticorruption en France, vous pouvez dès à présent envisager les mesures suivantes :
- Évaluer la pertinence de votre dispositif anticorruption et actualiser votre cartographie des risques ;
- Définir un plan d’action pour neutraliser les risques de non-conformité identifiés ;
- Assurer le respect des droits des personnes en challengeant les procédures d’enquêtes internes ;
- Mise en place ou ajustement du dispositif d’alerte interne, avec par exemple la mise en place d’un outil de type EQS Integrity ;
- Formation et actions de sensibilisation pour la direction et les équipes (anticorruption, compliance, etc.) ;
- Les nouveaux acteurs susceptibles d’être concernés par la loi Sapin III, comme les établissements publics, devraient dès à présent établir et structurer un programme de conformité anticorruption et lancer la phase de démarrage de mise en conformité.
Provigis accompagne les entreprises dans la construction et l’amélioration des dispositifs anticorruption à travers des solutions d’évaluation des tiers, de cartographie des risques et de dispositifs d’alerte interne. N’hésitez pas à faire appel à nos experts pour être conseillé sur votre stratégie de lutte anticorruption.